Demain, tous vegan ? Les réponses du docteur Viola Zulian

« Que ton alimentation soit ta première médecine », disait Hippocrate ! Un précepte que l’homme et la femme occidental semble avoir recalé à la cave depuis de trop nombreuses années. La mondialisation est passée par là avec ses nouveaux codes, du fast-food à la présence en continue sur nos étales de produits jadis saisonniers. Et que dire de la production outrancière de viande bon marché et autre surpêche, déconnectées des lois fondamentales de Dame Nature.

La prise de conscience pointe son nez, même si la révolution alimentaire n’a pas encore dressé ses barricades. Certains grands chefs, à l’image d’Alain Passard à L’Arpège (Paris), sont de puissants phares dans les ténébres d’habitudes alimentaires catastrophiques. En diminuant le pourcentage des protéines animales dans leurs menus au profit du végétal, en repensant les modes de cuisson et les assaisonnements, ils ouvrent le champ des possibles. Epicurisme et végétalisme ne seraient donc pas tout à fait incompatible… Quid de ce constat dans l’alimentation quotidienne des français, dont 17% sont aujourd’hui en situation d’obésité ! Des initiatives tout azimut sont lancées, plus ou moins abouties. Le nutri-score, nouveau système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire, est un bon début.

Pour comprendre pourquoi et comment une alimentation mieux maitrisée serait bénéfique à tout un chacun, sans occulter la notion de plaisir, pilier de notre engagement épicurien, nous avons interrogé le docteur Viola Zulian, Médecin Chirurgienne au Centre de Chirurgie de l’Obésité (Clinique Saint Michel Elsan à Toulon), diplômée en Nutrition de l’obésité et spécialiste reconnue de l’alimentation végétale, du sommeil et de la gestion des stress.

Epicurien du Sud : Dr Zulian, quid de l’épicurisme dans la cuisine végétale que vous prônez et pratiquez depuis longtemps ? 

Viola Zulian : Pour moi l’alimentation végétale n’est pas restrictive, elle est richesse. Ce n’est pas quelque chose en moins, mais en plus. Plus de variétés de légumes, de fruits, de légumineuses, de céréales, d’épices… Et donc, plus de couleurs, plus de goût, plus de plaisir. L’alimentation végétale ne doit pas être réduite à « privation de produits d’origine animale ». Ce n’est pas le boeuf bourguignon sans le boeuf. Il est vrai que la France a une tradition gastronomique très orientée vers les produits d’origine animale comme le beurre, les fromages, les viandes et volailles… Il est difficile de faire comprendre que la cuisine végétale peut être autre chose que les carottes à la vapeur avec de la salade verte, ou que les lentilles peuvent se cuisiner sans les saucisses !

EDS : Finalement manger végétal c’est s’intéresser encore davantage à la richesse des produits et à l’acte de cuisiner ?

V. Z. : Exactement, et ce afin de ne pas tomber dans une routine fade. Notre corps est notre temple, que l’on nourrit plusieurs fois par jour, durant toute sa vie. Pour être en bonne santé, on ne peut pas s’éloigner de l’acte de cuisiner. Comme on soigne ses relations sociales, son sommeil ou son activité physique, on se doit au moins d’essayer de s’approprier son alimentation au quotidien. Et pour cela il faut un peu d’organisation surtout avec nos rythmes de vie effrénés, mais c’est essentiel.

EDS : En somme, plus de temps pour cuisiner et moins de temps à regarder nos écrans ?

V. Z. : Voilà ! Et particulièrement quand on a choisi une alimentation végétale. Il faut faire correspondre ses atouts pour la santé à son rythme de vie. La démarche n’est pas seulement d’acheter plus de légumes au supermarché mais véritablement de changer ses habitudes quotidiennes, s’intéresser à la provenance des produits, comment les cuisiner, quels effets sur sa digestion, son sommeil, le stress. Une nouvelle orientation de vie qui n’est pas incompatible avec l’accomplissement professionnel, familial ou social.

EDS : La clef serait de « simplement » modifier son mode de vie pour rester en forme, en commençant par son alimentation. Pourquoi cela semble si difficile pour la plupart des gens ?

V. Z. : Parce que les habitudes sont tenaces. Je conseille toujours à mes patients de commencer par un repas par jour sans protéine d’origine animale. On ne peut pas demander aux gens de devenir végétalien ou vegan du jour au lendemain. Ce n’est pas blanc ou noir. La démarche doit s’opérer dans le temps sans culpabiliser de manger encore un peu de viande, du poisson ou parfois du fromage, d’avoir des chaussures en cuir, de ne pas encore faire de la méditation. Il est impossible d’être 100% actif dans tous les domaines. Déjà un repas 100% végétal par jour va faire la différence, ensuite « step by step », chacun à son rythme.

EDS : Autre difficulté au quotidien, trop peu de restaurants proposent des alternatives végétales dignes de ce nom. C’est  aussi un problème ? 

V. Z. : Les choses bougent. Il y a par exemple le restaurant vegan « Ona » en Gironde qui a décroché sa première étoile au guide Michelin. C’est un signal très important pour le grand public.

EDS : Et le sport dans tout ça ? Le végétalisme est-il adapté à la pratique d’un activité physique, même modérée ? N’y a t-il pas un risque de carence en protéines ? 

V. Z. : C’est tout à fait possible. Le documentaire The Game Changers sur Netflix explique très bien cela avec l’exemple de sportifs de très haut niveau, avec des performances à haute intensité, qui ont adopté une alimentation 100% végétale. Le problème des protéines est presque une Fake News. Dans nos sociétés, nous consommons en excès les protéines, notamment animales. Les instances mondiales préconisent d’en ingurgiter chaque jour 0,9 grammes par kilo de poids corporel, jusqu’à 1,2 grammes pour les enfants, adolescents et les femmes qui allaitent. Donc pour une femme de 60 kilos, 55 grammes de protéines par jour sont largement suffisants pour maintenir sa masse musculaire. Les absorber en 100% végétal plutôt qu’en 100% animale aura un effet bénéfique pour la santé avec un risque bien moins élevé de graisses saturées.

EDS : Les protéines animales ne sont-elles pas plus « noble » avec notamment la présence des 9 acides aminés essentiels que l’Homme ne produit pas seul ?

V. Z. : Les animaux également ne produisent pas naturellement ces 9 acides aminés essentiels, et pourtant une vache se nourrit d’herbe. Les acides aminés sont ici produits grâce aux bactéries générées au cours de la rumination. Dans le cadre d’une alimentation 100% végétale, il va falloir aller rechercher les bonnes associations pour que notre corps fabriquent ces acides aminés. Cela peut se faire dans le temps, sans forcement tout mélanger dans la même assiette comme le laisse penser la croyance populaire. Par exemple, du riz au déjeuner et des légumineuses au diner, toujours accompagnés de légumes frais. Scientifiquement, il n’y a pas de risque de carence en acides aminés avec une alimentation végétale variée et équilibrée en protéines, glucides, lipides et fibres.

EDS : Le discours des médecins traitants ne semble pas aller dans ce sens, est-ce un problème de connaissance ?

V. Z. : Il y a une méconnaissance des praticiens de santé sur les fondamentaux de l’alimentation végétale. Moi je me suis formée en Italie et aux Etats-Unis. En France, j’ai eu peut-être 30 minutes de cours sur la nutrition en faculté de médecine. Cela se ressent ensuite dans les cabinets avec des médecins traitants qui ont des préjugés sur l’apport pour la santé d’un changement d’alimentation. Mais les choses commencent à changer.

EDS : Adopter une alimentation végétale peut-elle conduire à finalement prendre plus de poids, car plus riche en glucide ?

V. Z. : C’est la fameuse carbophobie, la peur des féculents. Il faut comprendre que les glucides contenus dans des haricots rouges, des flocons d’avoine ou des pâtes complètes, ne sont pas les mêmes que des glucides contenus dans un gâteau au chocolat ou une baguette de pain à base de farine blanche ultra raffinée. Un glucide ne vaut pas un glucide, notamment sur la production d’insuline, facteur de nombreux problèmes de santé. Il faut changer notre vision de l’alimentation qui valorise les protéines et diabolise les glucides.

EDS : Un mot d’une tendance, d’une mode qui se répand sur les réseaux sociaux, le jeûne intermittent ou fasting. Quel est votre sentiment sur cette pratique ? 

V. Z. : Oui c’est une mode mais avec une base scientifique. La nuit est faite pour dormir pas pour manger. Un jeûne de 12h, disons de 19h00 à 07h00 du matin permet déjà au corps de se purger et aux intestins de se reposer. Après si vous faites plus, pourquoi pas, mais cela n’aura pas d’incidence sur la perte de poids. Il faut également savoir que le jeûne intermittent qui consiste à ne manger que durant 8h dans la journée, par exemple de 12h00 à 20h00, est plus efficace chez les hommes que chez les femmes, conséquence d’un système hormonale différent.

EDS : Le sans gluten et le sans lactose trouvent-ils grâce à vos yeux ?

V. Z. : Si il y a des raisons de santé oui, sinon non.  Concernant le gluten, il y a un dosage des apports à respecter. Par exemple la baguette traditionnelle à la farine blanche aura plus de gluten qu’un pain complet. Le raffinage va concentrer le gluten. Pour le lactose, plus on prend de l’âge moins le corps va le tolérer. Mécaniquement on aura tendance à moins en consommer au fil du temps. Il faut aussi distinguer l’allergie, médicalement prouvée, et l’intolérance qui est plus de l’ordre du ressenti. Il faut donc écouter son corps tout au long de sa vie.

EDS : Consultez-vous des patients, hors personne en surpoids, pour les renseigner sur ces questions de nutritions ?

V. Z. : Je ne suis pas à proprement parler nutritionniste, mais en tant que médecin j’ai le droit de parler de nutrition donc oui je consulte des patients. Je commence également à suivre des patients en Médecine du mode de vie « Lifestyle », avec une approche globale basée sur l’alimentation, la respiration, la gestion du stress et l’arrêt des perturbateurs endocriniens. Mais encore une fois, pour la plupart des gens il faudra commencer son changement en douceur, étape par étape. Un changement trop brutal de mode de vie peut aussi avoir des conséquences négatives, donc soyons bienveillants et accordons-nous du temps.

Propos recueillis par Jeremy CAPITANO

Retrouvez les conseils et le contact du Dr Viola Zulian sur Vis a Vegeto.

=> www.visavegeto.com 

=> www.instagram.com/viola.zulian

Catégories : Actualités

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